« A quoi bon, personne ne me court après avec une batte de baseball il me semble » fut la réponse d’un de ses amis face à son habitude quotidienne d’aller courir. A défaut d’être pertinente, la remarque lui avait décroché un sourire. Il n’y avait pas de véritable raison. Pas d’objectif personnel ou une hygiène de vie très stricte qu’il s’obligeait à suivre. Il aimait juste ça. Courir tôt le matin, les rues quasi vides, le soleil d’une teinte obsédante selon la saison, une musique dans les oreilles qui semblait lui donner un second souffle. Ce matin là Graham faisait résonner ses pas réguliers dans le parc. L’endroit avait l’avantage d’être assez spacieux, ce qui lui évitait de tourner en rond et de voir le même paysage pendant de longues minutes. Il n’y avait rien qui le décourageait plus. Ses jambes le portaient depuis une bonne heure et la soif dans sa gorge se fit trop présente, ce qui l’amena à ralentir sa foulée jusqu’au banc où il avait laissé sa bouteille d’eau. Ça l’amusait toujours à quel point l’eau semblait être le meilleur breuvage du monde lorsque l’on avait soif. Graham s’accorda quelques minutes de repos avant de continuer ou rentrer, il n’avait pas encore décidé. Mais le dilemme dû attendre dans un coin de son esprit quand une toute autre préoccupation attira son attention.
Sa mâchoire se raidit inconsciemment alors qu’il se laissait aller contre le dossier du banc. Alors que son regard se durcissait sur le visage pâle de la demoiselle, Graham se remémorait l’accident. Du café brûlant se déversant sur sa peau et ses vêtements, il n’avait eu que quelques secondes pour paniquer sur la douleur avant de prendre conscience des dizaines de regards autour de lui, des chuchotements, des exclamations surprises et compatissantes, et pire, des ricanements. Il se souvint avoir hurlé sur la nouvelle venue, les mots précis échappant à sa mémoire, avant de quitter le couloir bondé pour se débarbouiller dans les toilettes. Ce fut un évènement futile que sans doute la plupart des élèves présents ont désormais oubliés, mais Graham est un garçon horriblement rancunier. C’est un trait de caractère ingrat, mais le pauvre garçon à besoin d’une bonne vengeance pour se sentir apaisé. C’est pourquoi la voir sortir du bureau du psychologue ce jour là fut un déclic.
Graham décida d’aller la voir. Les plusieurs mètres qui les séparaient devaient résoudre deux problèmes avant qu’il ne s’arrête : l’irritation qu’il ressentait devant son visage et le sarcasme qui pendait déjà au bout de sa langue. Sois gentil, Graham ! Tu sais ce que dit le dicton, sois proche de tes amis et encore plus de tes ennemis. Bon ce n’est pas une ennemie, elle ne mérite pas tant d’intérêt, mais s’attirer sa confiance semble être le seul moyen pour lui faire avouer la raison de ses visites chez le psy. En priant pour que l’information soit scandaleuse à souhait. C’est sur cette pensée que Graham se stoppa aux côtés de la demoiselle qui refaisait ses lacets.

-C’est pas dangereux le jogging quand on est une personne aussi maladroite ? entama-t-il d’un ton léger dont il se félicita. Autant faire en sorte de rigoler de la chose, rien de tel pour la persuader qu’il ne tient aucune rancune et qu’il est passé à autre chose.